Mardi,
9 Août, 1921
Si
vous saviez le projet qui a été fait aujourd'hui? Non, je ne peux y revenir et
je n'ose y penser car je crains qu'il s'écroule et qu'il ne soit qu'une
chimère. On a parlé d'aller passer huit jours dans le pays de grand'mère.
Pensez donc, dans le pays de grand'mère. Dans le pays où nous avons déjà passé
un mois mais où malheureusement un triste événement plutôt une catastrophe est
venue nous bouleverser. La guerre s'est déclarée pendant notre séjour là-bas.
Je me rappelle de ce triste jour, hélas, comme il avait frappé nos petits
cerveaux de huit ans. Ma première anxiété fut pour mon papa qui faisait les
voyages d'Amérique. Je vois encore l'endroit où je courais vers ma grand'mère
pour lui demander si papa allait aller aussi à la guerre. Mais grand'mère a su
me consoler en me disant qu'étant sur les bateaux, il y serait mobilisé et
n'irait pas au feu. Dès ce moment, l'inquiétude qui était comme un poids lourd
sur mon coeur, disparut. Je recommençais à jouir de mes vacances puisque mon père
était sauvé. J'arrangeais tout cela dans ma petite cervelle mais il n'en fut
pas ainsi, malheureusement.
Voici
que je n'ai pas pu vous parler d'Erdeven sans revenir à cette terrible guerre,
mais il faut que je vous dis comment est ce pays.
C'est
d'abord la campagne. Erdeven est un bourg situé entre Etel et Plouermel-Carnac.
Mais nous ne restons pas au bourg, nous, ce ne serait pas assez intéressant.
Nous savons qu'il y a, à deux ou trois kilomètres, la grande mer que l'on
qualifie de sauvage. Et c'est là que nous allons et le village qui s'y trouve
est Ker-Ouriec.
Du
village à la mer, s'étend une immense falaise qui se continue aussi vers Etel.
Il faut la traverser avant d'arriver sur une magnifique plage. Une plage
certainement plus belle que celle de Quiberon, une plage presque blanche,
tellement le sable y est beau. Enfin, il me semble que nous seuls la
connaissons et nous seuls l'aimons. Sur ce beau sable, la mer furieuse vient
s'abattre en faisant un bruit qui nous assourdit sans cesse. En face de nous,
ce sont d'énormes rochers où la mer se butte en faisant une écume blanche. Des
oiseaux sauvages tournent autour de ces rochers et criant et leurs cris
lugubres m'impressionnent.
Mercredi,
10 août 1921
Je
suis heureuse, car déjà le projet est mis en exécution. Tante a écrit à une de
nos cousines pour lui demander de nous chercher une chambre à coucher. Elle lui
propose aussi de nous faire nos déjeuners et de cette façon nous prendrons
pension chez elle. Si notre cousine accepte, nous partons Mardi 16 août et ça
y est. Mais, il me vient une crainte, j'ai peur que notre cousine ne trouve une
chambre car à la campagne ce n'est guère facile. Enfin, tant pis, nous
attendrons les événements et nous nous résignerons s'il le faut.
Vendredi,
12 août 1921
Nous
sommes tous au comble de la joie. La lettre tant attendue et déjà inespérée est
arrivée. Nous partons mardi, c'est décidé. Tout est prêt là-bas et nous sommes
servis à souhait. Une grande chambre avec trois lits nous attend et notre
cousine se charge de nous faire à déjeuner. Quelle chance, nous allons pouvoir
quitter Vannes un moment et folâtrer dans la campagne.
Adieu
chère maison, il fait trop chaud entre tes murs, il nous faut de l'air, bien
vite, bien vite. nous sommes las de faire ta toilette, tous les matins il faut
faire le ménage , cela devient monotone, à la fin.
Quand
nous serons là-bas, va, au saut du lit nous serons dehors et sans doute, nous
courrons aussitôt vers la mer.
Nous
nous en promettons; et les huit jours seront bien employés mais ils passeront
encore trop vite!
Lundi,
15 Août, 1921
Depuis
samedi, nous faisons nos préparatifs de départ. Nous ramassons nos vêtements
dans un sac de voyage et nous cherchons le moyen de ne pas nous encombrer
inutilement. Pour tout cela, c'est un calcul, et il faut serrer les paquets.
Enfin,
nous sommes prêts à partir et demain nous prenons le train à 9 h 1/2, ma tante,
grand'mère, mon petit cousin Yves et moi.
Mardi,
16 Août, 1921
Nous
sommes arrivés et notre voyage s'est très bien effectué. Nous nous sommes
arrêtés à Plouhernel-Carnac où nous avons passé presque toute la journée chez
des parents. mais bientôt nous avons pris la route d'Erdeven. Ma grand'mère,
tante, Louise et Yves étaient en voiture tandis que moi je suivais derrière à
bicyclette.
La
distance de Plouhernel à Erdeven est de cinq kilomètres et la route est
directe, aussi nous pouvons voir le clocher de très loin. Enfin nous approchons
toujours, le clocher se dessine très bien maintenant. Et voici que tout à coup,
nous apercevrons la mer sauvage. Un bateau de guerre est à la côte en face de
nous et de Gavre. A sa vue nous sommes intrigués et nous sommes contents car
nous allons le voir de plus près;
Nous
traversons le bourg qui me paraît plus petit qu'autrefois et nous nous
engageons sur la route de Ker-Ouriec.
Bientôt
nous allons voir le cher village, les parents que nous n'avons pas vu depuis
longtemps , puis la falaise et la mer sauvage.
Mardi
soir.
Déjà,
nous courons vers la mer. C'est une vraie course et c'est à qui traversera le
plus vite l'immense falaise.Il y a des trous et des bosses, aussi nous tombons
mais nous ne perdons pas courage. Il faut arriver, nous sommes comme des fous;
nous nous donnons la main tous les trois car nous enfonçons dans le sable.
tsh!
Voilà la mer qui s'abat en colère devant nous. Yves et Louise se serrent contre
moi. Ils ont comme peur de la mer furieuse et ils se sentent seuls sur la
grande plage . Je les secoue un peu car je viens d'apercevoir le bateau de
guerre que nous avions déjà vu sur la route. On nous a dit tout à l'heure que
c'était un bateau allemand que les soldats de Gavres vont faire couler. Nous le
regardons un moment, il est majestueux et imposant. Nous allons peut-être
assister à sa fin, c'est dommage, un si beau bateau, mais tant mieux, un bateau
boche mérite cela.
Mercredi
17 août 1921
Nous
sommes vraiment des enragés, oui, des enfants rendus fous par la joie. Dès ce
matin, figurez-vous que nous sommes partis tous les trois à la côte sans avoir
déjeuné. Rien n'est meilleur su'une promenade matinale au grand air Le vent frais
nous soufflait en plein visage et malgré tout, un radieux soleil nous
réchauffait. Des nuées d'hirondelles rasaient la falaise en gazouillant car
nous n'étions pas les seuls heureux en ce moment. Enfin, le ciel était d'un
bleu azuré et reflétait sa teinte sur la mer qui était également superbe. Au
loin, des thoniers et des sardiniers filaient vers le large ou entraient à
Quiberon et à Etel.
La
plage état toute dentelée par l'écume des vagues et nous avons trouvé rien de
mieux que de nous déchausser pour nous baigner les pieds. L'eau était glaciale
et nous avons été quelque peu saisis mais qu'importe la température, nous
pataugions tout de même. La lame de fond nous étourdissait aussi nous nous
amusions beaucoup. Bientôt notre estomac nous rappela que nous nous étions
attardés, alors il fallut quitter à regret la belle plage pour un moment.
Jeudi,
18 Août 1921
Hier,
nous avions pris deux bains, un le matin et l'autre l'après-midi et nous en
étions enchantés. Aujourd'hui, déception, les éléments étaient contre nous.
Comme nous sortions de l'eau, la pluie se mit à tomber assez fort, il nous a
fallu nous habiller bien vite mais nous avons été trempés. Le vent lui-même
nous en voulait et nous avions bien froid. Nous n'étions pas près de la maison
et il fallait traverser la falaise sous la pluie.
Déjà
nous nous faisions des idées noires: nous comptions sur le beau temps aussi
nous avions grand peur que la pluie continue. Un coup de canon vint augmenter
notre inquiétude: les soldats de Gavres commençaient à bombarder le bateau
allemand qui se trouvait en face de nous. Nous crumes tout de suite au danger
et nous nous mimes à courir. Quelle malchance cette pluie maudite, ne
pouviez-vous pas attendre que nos vacances se terminent? Est-ce parce que nous
sommes arrivés que tu commences? Cela nous ennuie beaucoup car nous ne pourrons
plus approcher de la mer. Nous sommes rentrés à la maison, tristes,
désillusionnés et nous n'avions plus qu'à nous changer des pieds à la tête.
Vendredi
19 août 1921
Le
temps a bien changé depuis hier. La pluie a cessé et le soleil a reparu. Le tir
continue mais nous nous sommes résignés à chercher un autre endroit pour
prendre nos bains. La plage que nous avions trouvé est dangereuse car elle
forme une pente subite. Ma tante n'est pas à l'aise à cet endroit aussi elle
nous défend bien de nous aventurer trop loin. Quand nous y sommes arrivés, la
mer était furieuse et c'était la première fois que je voyais de si grosses
vagues. Un moment nous étions indécis pour prendre un bain, tante ne voulait
pas nous laisser y aller, mais à force de supplier elle a cédé. Nous nous
sommes donc allés tous les quatre les uns près des autres et nous attendions la
vague. Nous étions baignés seulement par l'eau que la vague pousse sur le
rivage. Nous étions saisis peu à peu, d'abord le ventre, puis les épaules et
parfois nous avions la tête sous l'eau. Nous nous sommes vraiment amusés et
nous ne pouvions nous décider à sortir de l'eau, heureusement qu'un coup de
canon nous a rappelé à l'ordre.
Samedi,
20 août 1921
Aujourd'hui
nous avons été à Etel. C'est un petit port de pêche très agréable et aussi une
petite station balnéaire. Nous avons d'abord suivi une assez large et longue
rue très commerçante qui doit être la principale artère. Ensuite nous sommes arrivés
sur le quai le long duquel étaient alignés des bateaux thoniers et des
sardiniers. En face se trouve la Criée et à gauche la jetée. La baie qui forme
le port est presque fermée. Le phare domine l'entrée qui est formée par des
plages de sable très blanc. Plusieurs bateaux rentrant au port et semblant
glisser sur l'eau ; au fond des barques on aperçoit des sardines bleus toutes
fraîches que les pêcheurs viennent vendre.
Aussitôt,
les gens se dirigent vers la jetée pour acheter le poisson. Une groupe de
personnes entoure un pêcheur qui ne tarde pas à vider un panier. Tante fait
aussi provision de maquereaux et de sardines tous vivants et qui sautent dans le
panier.
Etel
me plait beaucoup, le petit port me semble gai et je lui trouve quelques
ressemblances avec le Bono.
Dimanche,
21 août 1921
Dans
deux jours nous partons. Mon cousin Marcel est venu nous voir et comme nous
allons quitter la côte solitaire et bienaimée, nous sommes venus au coucher du
soleil nous y asseoir un moment. Nous avons devant nous un spectacle vraiment
poétique . Le ciel est comme embrasé de rouge et tout à coup un nuage nous
frappe; nous pourrions croire à une apparition céleste.
A
notre gauche se dresse le fort de Penthièvre si célèbre par son histoire et de
chaque côté nous ne voyons qu'une ligne blanche car ce sont des plages.
Quelques villas se groupent autour du fort, enfin nous distinguons très bien la
pointe de Quiberon, couverte d'écume.
Plus
loin, au dernier plan, Belle-Ile se devine avec la fameuse pointe des Poulains.
En face de nous, se détache une forme noire, un véritable amoncellement de
rochers, c'est l'île de Ruelland autour de laquelle des oiseaux sauvages
crient.
Au
large; de petits points noirs semblent immobiles ; ce sont des barques de
pêcheurs qui approchent du port. Plusieurs bateaux thoniers, de forme élégante
défilent devant nous et se dirigent vers Quiberon. A notre droite, la forme
arrogante et prétentieuse du fameux bateau boche se redresse encore une fois
pour lancer un dernier défi aux artilleurs de Gavres. Tout à coup, le vent se
lève, nous avons froid, la nuit commence à pointer et le bruit des vagues
s'écrasant sur les rochers nous assourdit. Ce spectacle vraiment grandiose nous
impressionne et laissera dans notre mémoire un moment inoubliable.
Lundi,
22 août 1921
Nous
avons été dans les rochers toute la matinée. En effet, nous avons trouvé un bon
petit coin dans lequel nous avons fait bonne pèche. Il y avait des bigorneaux
en quantité, des moules et des berniques Puis, en fouillant sous les pierres usées
nous avons pu faire collection de coquillages. Il y en avait de toutes les
formes et de très originaux. Il y en avait de si variées et tout aussi jolis
les uns que les autres que j'avais envie des les prendre tous. Je ne pouvais
cependant me charger de tant de choses car je savais que grand'mère aurait
grondé en me voyant remplir les sacs de ces futilités, aurai-t-elle dit. Moi,
je tiens à emporter quelques petits souvenirs du pays, car lorsque je les
verrai, je me souviendrai des chères vacances. Et puis, ces coquillages sont
assez rares aussi je serai heureuse de les montrer comme curiosités.
mardi
23 août 1921
C'est
aujourd'hui le départ. Oui, dans quelques heures nous quittons le pays et tout
ce qui nous y attachait. Oh! Huit jours passent vite, surtout quand on les
emploie bien, quand on a du changement et des distractions. Je ne voulais
penser au départ car je savais qu'il arriverait assez vite. Aujourd'hui, il faut
bien puisque nous faisons nos paquets, on fait le nettoyage de la chambre,
tante va payer les fournisseurs de huit jours. Tout sent le départ et mon petit
cousin ose me dire qu'il a hâte de revoir Vannes et sa maison. Je saute de
surprise. Vraiment, pour huit jours que nous l'avons quitté, il en est privé.
Nous, voici que soudain je songe à papa, à la maison et à tous les voisins. Ne
serais-je pas heureuse moi aussi de les revoir tous? C'est vrai, maintenant il
me semble qu'il y a très longtemps que je les ai quittés. Je vis dans un milieu
tout autre que le mien, dans un milieu qui m'est plutôt indifférent et peu
ordinaire. Je vois maintenant toute l'affection et l'attachement que j'ai pour
ceux avec qui je vis. J'ai moins de regrets pour quitter Erdeven. Je suis
heureuse de mes brèves vacances mais je suis contente de rentrer à Vannes.
mercredi
24 août 1921
Nous
sommes arrivés hier soir avec un bien vilain temps. Il pleuvait et nous avons
été bien mouillés. En revoyant ma rue, ma maison j'ai éprouvé une réelle
satisfaction et c'est avec amour que je regardais les plus petits coins. Je la
trouvais les chambres plus gentilles et cela provenait de ce que nous avions
vécu pendant quelques jours dans une chambre de campagne. Je trouvais
certainement une grande différence, car au lieu d'un plafond tout uni et tout
blanc, il y avait un plafond formé de poutres rustiques. L'arrangement de la
chambre était aussi plus lourd et l'on y reconnaissait le goût campagnard.
Enfin,
je sentis que je suis dans mon "chez-moi" et je suis disposée à
reprendre mes anciennes habitudes.
Vendredi,
26 août 1921
Depuis
que nous sommes revenus, il me semble que les vacances sont complètement
terminées , je ne pense plus aux promenades et je suis toute disposée à
travailler. Certainement, j'ai du travail et il est temps d'y penser.
J'ai
décidé d'apprendre plusieurs chapitres d'histoire que j'ai mal étudié. Pour
cela, il faudrait que je me lève de bon matin de cette façon je ne négligerais
pas le travail de maison et je serais plus disposé. J'ai aussi mon arithmétique
à réviser et c'est là je crois qu'il y aura à faire. Il y a des points noirs
qu'il faut que j'éclaircisse.
Je
sens que j'ai de la bonne volonté aussi il faut que je persiste et dès demain
je mettrai mon courage à l'épreuve.
samedi
27 août 1921
Ce
matin, j'ai fait un effort et je suis contente de moi. J'ai étudié un
chapitre d'histoire " les guerres de François I" J'avais plaisir à
étudier et je serai heureuse de pouvoir continuer ainsi pendant les vacances.
Aurais-je de la persévérance? je crois que c'est bien difficile. Souvent j'ai
eu des bonnes résolutions et de la bonne volonté mais il arrivait un moment ou
je les perdais. Je vais essayer pourtant encore une fois car à tout prix il
faut que je revoie mon histoire de France.
Lundi,
29 août 1921
Aujourd'hui,
j'ai pu faire une lecture qui m'a vraiment touché, une lecture peu banale et
bien choisie d'Eugène Manuel. Je ne me lassais pas de la relire et je l'ai
médité. Elle est écrite en vers et a pour titre les "Abandonnés. On y
découvre d'abord une grande sensibilité chez l'auteur. Puis, on remarque que ce
qui y est dit est toute la vérité et que les plus petits détails y ont été
remarqués. Ce poème est d'un style recherché et quelque peu original. En effet,
l'auteur s'attriste devant un vieux tombeau délaissé "tapissé de mousse.
Il le compare avec le tombeau qu'on soigne et que l'on fleurit dont les dalles
sont lessivées et l'épitaphe re-noirci. Enfin, là on sent le témoignage d'un
culte fidèle pour l'âme du défunt. L'autre, le pauvre abandonné, oblique sur
ses pieds boiteux, ses grilles sont rouillées. L'auteur adresse une prière à
l'âme inconnue qui repose dans cette tombe nue et déserte et qui fait pitié au
passant.
Mardi,
30 août 1921
La
lecture que j'ai faite hier m'a impressionné et m'a laissé toute songeuse. J'ai
bien compris cette pitié de l'auteur. Pourquoi oublions nous nos morts?
Pourquoi cette indifférence? Nous ne pensons plus qu'ils ont vécu avec nous,
qu'ils ont partagé nos joies et nos peines, qu'ils nous ont aimés. Non, le
temps se charge peu à peu de nous les faire oublier et nous ne venons sur leur
tombe que de temps en temps. C'est pourquoi il existe de ces vieilles tombes
fréquentes dans les cimetières. Je pense à la tombe de ma mère qui se trouve
dans un petit endroit très éloigné de nous. Peut-être est elle ainsi? Nous n'y
sommes allés qu'une fois depuis treize ans. Une femme du pays était chargée de
la nettoyer et de la fleurir tous les ans à la Toussaint. Depuis trois ans,
elle ne nous a plus écrit et nous avons pensé qu'on avait déterré notre mère.
je voudrais en être sûre, car c'est avec plaisir que j'irais prier sur sa
tombe. Je ne voudrais pas qu'elle soit de ces vieilles tombes abandonnées, car
malgré tout, nous ne l'oublions pas et nos prières sont les mêmes ici que
là-bas.
Mercredi,
31 août 1921
J'ai
vu une des beautés de la nature aujourd'hui. Quelque chose qu'on n'a pas le
plaisir de voir tous les jours et qui vous impressionne beaucoup. C'est la
grotte de l'Apothicaire en Belle-Ile. Elle est continuellement battue par la
mer et les effets de vagues y sont magnifiques. On y descend par un escalier
rapide et glissant, creusé dans le rocher. Il fait sombre dans la grotte car
elle a la forme d'un demi-cercle mais ouverte aux deux bouts. Elle est très
sonore et le bruit des vagues s'abattant sur les roches est formidable. On ne s'entend
presque pas et l'on se croit dans un gouffre. L'eau est claire aussi, on voit
le fond ce qui fait frissonner mais bientôt ce n'est plus qu'écume partout car
une immense vague a sauté, furieuse. La mer est en colère car une petite pluie
fine commence a tomber, elle fait vraiment contraste avec les grosses vagues.
Quelques oiseaux sauvages tournent à l'entrée et ne cessent de crier. Si nous
étions superstitieux, nous croirions qu'ils viennent nous porter malheur.
Partout dans la grotte, les touristes abondent et contemplent comme nous cette
merveille, les appareils photographiques sont de service et l'on ne se lasse
pas d'admirer.
Vendredi,
2 septembre 1921
Grand-mère
n'est pas contente, elle nous gronde et dit que nous ne travaillons pas. C'est
vrai, nous n'avons pas fait grand-chose en couture. Il y a dans l'armoire une
pile de draps dont il faudrait mettre les côtés dans le milieu par un surjet.
Quel travail! et pourtant il faut l'entreprendre, grand-mère sera contente et
mon Dieu il faut s'habituer à faire la ménagère. C'est toute la maison qui s'en
ressentira car les draps feront plus long usage et pendant ce temps on n'en
achètera pas d'autres. C'est dit, nous allons commencer cet ouvrage qui ne
sourit ni à ma soeur ni à moi, mais nous tâcherons d'y prendre goût.
Samedi,
3 septembre, 1921
Nous
sommes dans les draps jusqu'au ... manquent ensuite plusieurs pages...
Vendredi
8 septembre 1921
"Marguerite,
veux-tu que nous fassions une promenade à bicyclette, il y a longtemps que nous
n'en avons pas faite". Louise me fait une proposition qui ne me sourit
guère mais pour lui faire plaisir, j'accepte. Il est six heures du soir et le
temps devient frais. Nous voici sur la grande route de Nantes, nous marchons
côte à côte et le vent nous souffle en plein visage. Nous avançons toujours,
nous dépassons les maisons mais bientôt nous sommes entourées de prairies. En
chemin, nous rencontrons des troupeaux de vaches qui reviennent à pas lents
vers l'étable. Plusieurs petites marchandes de lait nous croisent et bien que
nous les ayons dépassés nous entendons encore le bruit de leur petite charrette
roulant sur la route rocailleuse. Des promeneurs reviennent vers la ville et
les enfants, heureux d'être en liberté, grimpent les fossés et courent les uns
après les autres. Il serait temps que nous fassions demi-tour, nous aussi et
nous sommes revenues vers la maison, heureux de la petite promenade qui nous a
distraite un moment.
Dimanche
10 septembre 1921
La
ville est toute bouleversée aujourd'hui, douze sociétés de gymnastique défilent
dans les rues, musique en tête En effet, nous sommes sur le trottoir car nous
allons les voir passer. Voici une société de Nantes que je reconnais par le
drapeau , puis une autre de Niort, une troisième de Lorient. Ce sont les fusiliers
marins qui défilent avec leur col blanc et leur pompon rouge. maintenant
arrivent les cheminots qui portent pour insigne une locomotive. Les gymnastes
de Pontivy ont à peu près le costume de ceux de Vannes mais ce sont de bons
musiciens Ils jouent parfaitement et c'est avec plaisir que nous les écoutons.
La
Vannetaise suit précédée de plusieurs autres du Finistère et des Côtes du Nord.
Depuis une demi-heure nous n'entendons que la musique et le défilé est assez
impressionnant. Les gens se bousculent pour suivre après et s'est amusant de
les voir s'émoustiller pour si peu de chose.
Lundi,
11 septembre 1921
C'est
la récolte de pommes dans le jardin de grand-mère. Nous sommes tous occupés
sous les arbres et nous emplissons des paniers. Il y a mes deux cousins, ma
soeur et moi et grand-mère est derrière nous qui nous hâte car nous ne sommes
pas très assidus au travail. Il faut dire que c'est assez fatiguant de se
baisser, se relever pour vider les paniers et les corbeilles au tas de pommes.
Cependant, nous voyons avec plaisir le tas augmenter; tout à l'heure; les
pommes formaient un tapis sur la terre mais les corbeilles se remplissent
toujours de belles pommes rondes et jaunes. Les pommiers qui, hier,
paraissaient fiers avec leur bel ornement, aujourd'hui dépourvus de leurs
fruits, semblent nus et terrassés. On a réservé aux pommes un sort que vraiment
elles ne méritaient pas. Elles vont être écrasées, broyées sous le pressoir et
voilà comment elles finiront. Maintenant, beaux arbres, attendez-vous à perdre
tous vos biens. Août vous a pris vos fruits, mais septembre et octobre se
chargeront de votre feuillage. Vous vous verrez dépouillés chaque jour et vous
assisterez à la tombée de chaque feuille. Elles s'achemineront lentement vers
la terre et là, quelques unes jauniront à vos pieds, mais d'autres, plus
volages et insouciantes voltigeront par bandes poussées par le vent dans un
nuage de poussière. Pauvres arbres, vous avez bien de la peine à chaque
automne, mais aussi, chaque printemps vous console et vous rajeunit
Mardi,
12 septembre 1921
Cet
après-midi, je prends la plume et je cherche mes impressions de la journée mais
je vous le dit sincèrement, rien ne vient... Mon regard erre au hasard, par la
fenêtre et voici que soudain il s'arrête devant les blanchisseuses de l'étang
du Duc. Je vois les petites coiffes blanches courbées au-dessus de l'eau sur
une pelle de linge, puis les bras qui e meuvent car elles frottent, trempent
dans l'eau et étreignent. Quelques unes étendent le linge sur les fils de fer
aussi. Je vois du rouge, du bleu mais principalement du blanc flotter au vent.
Les petits enfants qui ont accompagné leur mère au lavoir trottent par ci par
là, mais toujours pieds nus. Ce charmant tableau est tout ensoleillé, l'étang
est d'un bleu sombre tandis que le ciel est azuré. Tout vit et sent le travail,
Mercredi,
13 septembre 1921
La
maison est pleine de plâtriers, de peintres et tous ces gens travaillent à la
blanchir et à rejoindre les persiennes.
Hier,
comme je rentrais, j'ai pu de la rue voir l'effet qu'elle produit ainsi. Pauvre
maison! Est-il possible de la déguiser ainsi, elle est bien coquette toute
blanche et avec des volets gris clair. Ce n'est pourtant plus celle que je
connais depuis treize ans, elle qui m'était si familière et que j'aimais avec
ses persiennes jaunes. Maintenant, il va falloir m'habituer comme lorsque je
suis venue pour la première fois.
Lundi,
19 septembre 1921
Cet
après-midi nous avons fait une visite à notre amie A. Nous en avons été
charmés, car A. est toujours aimable. La chambre où nous travaillons me
paraissait sombre aussi je m'y plaisait car l'été j'aime beaucoup cette
demi-obscurité dans une pièce. Par la fenêtre nous pouvions voir les
marronniers de l'avenue Victor Hugo, car c'est là qu'elle habite. De temps en
temps, nous étions appelées à la fenêtre par le sifflet du train et nous le
voyions passer sur le pont. Ensuite, des roulements de voitures se succédaient,
des omnibus, tous chargés de voyageurs. Derrière venaient les piétons, les uns
portant des valises, les autres quelques paquets. En sens inverse de l'avenue
des gens se dirigeaient vers la gare en courant, tout essoufflés et rouges.
Ceux-là étaient des retardataires. Enfin, nous étions distraits à chaque arrivée
de train et en curieuses nous ne bougions point de la fenêtre. J'aimerais
beaucoup habiter l'avenue de la gare, d'abord pour être entourée de verdure ce
qui donne beaucoup d'ombre, puis le va et vient continuel des voyageurs qui
serait une distraction.
Mardi,
20 septembre 1921
C'est
aujourd'hui qu'a lieu la promenade projetée depuis longue date. Nous avons été
prendre un bain à Roguédas avec A et une autre amie, Marie. Le fameux bain n'a
pas réussi car la mer étant basse nous avons du patauger dans la vase. Nous qui
rêvions d'une eau claire dans laquelle nous aurions pu nager, voilà qu'à chaque
pas nous enfoncions jusqu'à la cheville. C'est vraiment peu de chance. Enfin,
nous nous y sommes résignées et ma foi nous y avons trouvé un réel amusement.
Mercredi,
21 septembre 1921…
.....
Post Scriptum
Marguerite a été victime des bombardements à Sfax (Tunisie) le 30/12/1942 avec ses deux enfants Paul Jacques et Yannick.
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